Rencontre(s)...
Je repense à ce jour où je reçus un appel téléphonique d’un monsieur qui me dit : «Je voudrais pratiquer le modèle réduit…»
Nous échangeons quelques mots ; puis je lui propose de le rencontrer chez lui, afin de paramétrer le logiciel de simulation qu’il a déjà acheté.
Rencontre étonnante, avec un homme qui pourrait être mon père puisqu’il a une trentaine d’années de plus que moi.
Etonnante, car le bonhomme a dépassé allègrement la soixantaine, l’heptaine, l’octaine… mais qu’il a l’esprit étonnamment jeune.
J’ai déjà raconté l’histoire de cette rencontre dans un texte intitulé « Hymne à la joie.» (Voir sur ce blog)
Depuis cette date, nous avions pris l’habitude de nous revoir.
Pour parler,
De tout, et de rien.
Du temps qui passe…
Du modèle réduit bien sûr, pour lequel il s’était trouvé une tardive passion. Une de plus…
De l’informatique, pour laquelle il me disait : « Je sais bien qu’on doit tous mourir un jour, mais tant qu’à faire, autant pas mourir idiot ! »
Et malgré son âge avancé, mon ami Julien s’était équipé d’un ordinateur ; il s’était mis à surfer sur Internet, échangeait du courrier électronique…
De temps en temps, il faisait appel au SAV que je semblais être pour lui, afin de reparamétrer son logiciel de simulation…
Un jour, comme un gosse fier de son nouveau « jouet », il me sortit un appareil photo numérique. Ce fut encore l’occasion d’échanges fructueux.
Il avait plaisir à descendre dans son atelier, où il me parlait longuement de son ancien métier. Et comme j’ai toujours été fasciné par les horloges, je restais admiratif devant les comtoises sur lesquelles il continuait parfois à exercer son talent. Tel un chirurgien équipé d’outils spécifiques, il redonnait vie aux mécanismes, aux engrenages du temps…
Ainsi donc, mon ami Julien pouvait maîtriser le temps…
Autre facette du bonhomme, la peinture, mais pas n’importe laquelle. N’avait-il pas poussé la coquetterie jusqu’à placer sous la sonnette de sa demeure une carte de visite sur laquelle il avait mis son nom, ça va de soi, mais bien en évidence cette étonnante mention : « Aquarelliste ».
Et l’aquarelle à laquelle je n’y connaissais rien suscitait en lui des envolées lyriques. Il suffisait d’ailleurs de faire le tour des pièces de sa demeure pour admirer les innombrables tableaux qu’il avait réalisés.
Ce sujet débouchait traditionnellement vers son amour des « marines » qu’il traduisait magnifiquement. Avec un soin méticuleux pour les nuages. Presque obsessionnel.
Un Noël, ce fut d’ailleurs une marine au ciel « travaillé » qu’il décida d’offrir à mon épouse.
Autre sujet d’inspiration : l’Alsace, qu’il évoquait toujours avec émotion. « Ah ! Riquewihr… »
L’évocation de cette région très typée avec ses cigognes, ses maisons à colombages et ses vins particuliers, déclenchait parfois une petite soif, que nous étanchions selon notre humeur avec un thé, une bière, un jus de fruit… Mais quand c’était l’heure de l’apéritif, Julien dénichait dans son frigo quelque mini bouteille de Crémant bien frais que nous sirotions à petites gorgées.
En prenant notre temps…
C’était dans ces moments-là qu’il me parlait de son projet : organiser une exposition de ses toiles, afin de les mettre en vente au profit de la lutte contre la mucoviscidose…
« En aurais-je le temps ? » s’inquiétait-il parfois.
Tout au long de ma visite, j’étais fêté par la petite chienne Toscane qui semblait m’avoir adopté.
Tout comme elle avait adopté mon petit-fils qui m’accompagna chez Julien quelques rares fois.
Le vieil homme et l’enfant avaient rapidement sympathisé…
C’est sans doute la raison pour laquelle mon ami ne manquait jamais de me demander : « Comment va votre petit-fils ? Parlez-moi de votre petit-fils !»
Alors je me mettais à parler ; je lui donnais des nouvelles, qu’il semblait savourer.
Tout comme je savourais ses commentaires lorsque nous entrions dans les serres chauffées jouxtant sa maison…
C’était l’occasion de découvrir une autre facette du personnage, qui entretenait avec amour des plantes « exotiques ».
Qui prit un jour le temps pour venir spécialement à Bais afin d’en apporter une dont il fit cadeau à mon épouse, en lui disant avec malice: « Cette plante est particulièrement coquette : elle ne fleurit qu’une fois par an, ne donne qu’une seule fleur, et je crois que la floraison est imminente… »
Elle prit son temps…
Et lorsqu’elle fut enfin épanouie, je lui envoyai par courrier électronique des photos de la coquette.
Autre souvenir d’une rencontre étonnante, un jour où je me trouvais à Thouars sur le terrain d’aviation.
Je venais d’y faire évoluer un modèle réduit, et passant devant le bar de l’aérodrome, je suis hélé par une bande de jeunes exubérants qui me disent : « On a de la bière au frais, vous savez ! »
Pourquoi pas ? Je gare la voiture, je commande un demi. Et la discussion s’engage.
D’où il ressort que j’ai devant moi des adeptes du parachutisme, dont le club se trouve juste à côté. Des cascadeurs de nuages !
Dans la conversation, une jeune fille trouve le temps de me dire :
« Vous venez de la Mayenne… je connais quelqu’un qui, en Mayenne, pratique aussi le modèle réduit…
- Ah bon ? Et il habite où ? - A Mayenne… - Je le connais peut-être, comment s’appelle-t-il ?
- Julien !
- Julien… Julien… Ne me dites pas qu’il s’agit de… Julien D...t?
- Mais si ! C’est bien lui… C’est mon grand-père. »
J’en tombe des nues. En chute libre!!!
Tournée générale pour arroser la nouvelle ! Et prendre le temps d’évoquer le personnage !
Voici, glanés au fil de mes rencontres, quelques souvenirs de l’artiste…
Un « artiste » ! Tel était bien le personnage que familièrement j’appelais Papy Julien.*
Le Temps lui a fait un croche-pied.
Julien vient d’emporter ses pinceaux et ses couleurs.
Il s’en est allé peindre… les nuages.
Salut l’artiste !
Dantesque



