Le canal du Nivernais à vélo
Je répondrais aisément avec ces quelques mots: pour le simple plaisir de prendre son temps! Et de façon futile...
Ici, on vit au rythme de l'eau et à la vitesse des bateaux, qui ne dépassent pas 8 km/h.
On taquine les pêcheurs, pour lesquels le temps prend une dimension différente.
On prend son temps pour admirer le paysage, la faune, la flore...
On prend son temps pour échanger quelques mots avec l'éclusier; qui vous apprend les subtilités de son écluse, dont la vantelle "amont" est difficile à remonter... la porte aval lourde à mettre en marche...
On bavarde avec les plaisanciers, qui vous demandent un coup de main pour passer la corde autour du bollard, cette grosse bitte d'écluse, afin de retenir leur embarcation pendant la manoeuvre.
On échange des souvenirs avec les autres pédaleurs ou bateliers, qui évoquent d'autres canaux... et très fréquemment revient le célèbre site de Fonsérannes près de Béziers... un escalier d'écluses impressionnant, tout autant que celui de Port-Brûlé.
Je tire ma révérence devant ceux qui ont imaginé le système de l'écluse: faire "remonter" un bateau, en utilisant de l'eau qui "descend" par nature... Tout comme pour l'oeuf de Colomb, il fallait y penser.
Je reste admiratif face au travail réalisé par les bâtisseurs de canaux, qui avec des moyens "rustiques", ont élaboré ce que j'appelle des chefs d'oeuvres. (Le canal du Midi n'est-il d'ailleurs pas classé au patrimoine Mondial?) Ces "terrassiers" n'avaient pas de pelles mécaniques, pas de laser pour contrôler les niveaux, et le GPS leur était inconnu.
Et je me plais à constater qu'un canal s'insère parfaitement dans son environnement: il lui a parfois simplement suffi de détourner ou suivre un cours d'eau, mais jamais il n'a provoqué des plaies béantes telles que le font autoroutes ou voies TGV.
Jamais un canal n'est passé en force: il ignore les longs viaducs ou les profondes tranchées que se permettent les hommes contemporains, poussés qu'ils sont par l'impérieuse nécessité de développer les transports "à grande vitesse". Si l'on compare à David et Goliath, un canal, c'est David, tout en finesse et en subtilité.
Se promener le long d'un canal? Plaisir nostalgique à un âge où la nature m'oblige à "courir" moins vite?
Mais je ne suis sans doute pas le seul à aimer.
Si j'en juge par la fréquentation apparemment croissante de ce canal... et des autres voies navigables de France.
De très nombreux Britanniques le sillonnent sur leur propre bateau. D'autres louent des pénichettes, et enfin les plus fortunés s'offrent des croisières de luxe afin de savourer la gastronomie de la Bourgogne.
Des familles entières enfourchent des vélos surchagés, s'arrêtant le soir dans un camping pour repartir le lendemain. C'est ainsi que nous avons croisé ou suivi des gens qui avaient "fait" plusieurs canaux de France.
Sur des vélos "allongés", sur des vélos "normaux", sur des tandems tractant remorque...
Et tous avec le même sourire de satisfaction.
Et puis un canal permet de comprendre la géographie ainsi que l'économie locale. Du camping de Coulanges sur Saône où j'ai séjourné quelque temps, je pouvais voir simultanément trois voies de communication étroitement liées: le canal, la voie ferrée et la route. Empruntant tous les trois la même vallée.
Sur le premier, les pénichettes des vacanciers avançaient paisiblement. Le rail véhiculait des passagers avec le TER très coloré de la région Bourgogne, et des motrices tractaient de longs convois avec des billes de bois ou bien des wagons à l'enseigne de "Transcéréales". Les camions quant à eux se chargeaient de transporter les autres produits de cette Bourgogne dont je pourrais résumer la richesse par ces mots: vignobles, bois et forêts, céréales, production bovine et... tourisme. Le tout observable depuis les rives du canal selon l'endroit où l'on se trouve.
A propos de tourisme, vous pourrez trouver ci-dessous un petit reportage photographique réalisé lors de notre séjour en juillet/août 2008
http://picasaweb.google.fr/Bernardino53/CanalDuNivernais
Et puis pour conclure, oserais-je écrire que la fréquentation d'un canal constitue une excellente cure de sagesse? Une sorte de "canalothérapie" tout aussi bénéfique que la thalassothérapie!
Un possesseur de péniche ne me disait-il pas un jour: "Séjourner aux abords d'un canal, c'est un art de vivre."
Notre humeur change plus souvent que notre fortune
« Notre humeur change plus souvent que notre fortune »
Pourquoi emprunter à Jules Renard le titre de cette nouvelle rubrique? Tout d’abord parce que c’est un compatriote puisqu’il est né en Mayenne. Et ensuite parce que notre ami Jules est parti pour la Nièvre à l’âge de deux ans… Département dans lequel je séjournais à ce moment-là, non loin du village de Chitry les Mines, dont il fut d’ailleurs le Maire…
Un beau matin donc, je pose le pied droit par terre au moment du lever, et je prends cela comme un signe de « bonne fortune »: je me dis alors que la journée s’annonce agréable.
En milieu de matinée, ma femme me demande de faire quelques courses: aller récupérer la boîte de médicaments commandée la veille à la pharmacie du village, et prendre du pain à la boulangerie.
L’humeur vagabonde et lutine, je pars donc vers la première de mes destinations.
J’entre dans la pharmacie… et mon « Bonjour » croise celui de la jeune préparatrice.
« Je viens pour… »
Je n’ai pas le temps de finir ma phrase que je vois émerger une tête dans l’arrière boutique. Avec un large sourire, la patronne de la pharmacie m’adresse un gracieux bonjour et tend la boîte à son employée:
« Nous l’avons bien reçue ce matin… Bonne journée à vous, Monsieur!» Et elle s’en retourne mettre de l’ordre dans ses tiroirs.
Je fais l’appoint en monnaie… La préparatrice me rend quelques billets, et je quitte la pharmacie, après avoir adressé à ses occupantes quelques mots que je pense être empreints de civilité…
Puis, le cœur léger, j’entame la descente de la rue principale pour effectuer ma seconde mission.
A la porte de la boulangerie, je croise une dame, que je salue, qui me répond, et qui tient la porte pour me permettre d’entrer; je la remercie, et me voilà au milieu des pains, des boules et des miches.
« Bonjour Madame… »
Pas de réponse.
Derrière le comptoir se trouve un femme dont je n’aperçois alors que le buste et les cheveux au sommet du crâne. Penchée sur son tiroir-caisse elle fournigote afin de ranger ses piécettes.
Elle est boudinée dans un tablier de plastique transparent… qui lui sied tel un préservatif difforme.
Ayant mis fin à son rangement, elle se redresse soudain et découvre son visage, qui laisse alors échapper cette succincte apostrophe: « Monsieur?»
Dois-je comprendre que cette avarice de mots signifie tout à la fois:
« Bonjour Monsieur, que désirez-vous? »
J’ai toutefois eu le temps de jeter un rapide coup d’oeil sur les étagères… mais je pense ne pas avoir aperçu ce que je suis venu chercher…
C’est pourquoi, je glisse timidement: « Vous n’auriez pas une baguette aux céréales?
- Non, pas aujourd’hui! »
Réponse sans appel!!!
« - Tant pis, dis-je alors, donnez-moi une baguette normale.»
C’est alors que se ravisant, la commerçante me lance: « Ah, mais si vous voulez, j’ai de la baguette campagnarde… »
Et elle pointe vaillamment avec son index une bannette où se trouvent rangés quelques pains, hors d‘accès pour sa main.
Je propose alors:
« Je me sers?
- Oui! C’est un Euro dix! »
Mais j’ai eu le temps de lire l’étiquette manuscrite où une main malhabile a tracé « 1.05€ »
Surpris, je dépose ma monnaie sur le comptoir; et allez donc savoir pourquoi, je me risque à dire, peut-être sur un ton laissant transparaître ma mauvaise humeur qui va crescendo: « Ben faudra changer votre étiquette…
- Ah bon, pourquoi? me lance le cerbère.
- Vous me réclamez 1.10 et c’est écrit 1.05... »
Je la sens prête à mordre.
Et sur un ton féroce, elle me rétorque:
« Oui, et alors? Je vous ai rendu 5 centimes… je vous ai donc fait payer le prix indiqué. »
Et moi, comme un couillon:
« D‘accord, mais je vous ai donné 1.20€…»
Elle a grommelé je ne sais quoi, mais considérant que l’échange était terminé, elle a nerveusement repoussé avec son abdomen le petit tiroir-caisse, qui s’est ainsi refermé bruyamment, tel une machine à sous qui vient d’avaler vos derniers jetons.
Infortuné jackpot…
Fort marri, j’ai tourné les talons.
Et je suis sorti de la boutique… sans le moindre mot de politesse, il me semble.
Depuis cet épisode malheureux, j’ai parfois eu l’humeur maussade, et j’ai eu largement le temps de consulter le Petit Robert à propos des « humeurs ». Ne donne-t-il pas dans ses différentes rubriques celle qui figure ci-dessous:
L'HUMEUR,
considérée dans ce qu'elle a de spontané, d'irréfléchi, et opposée à la raison, à la volonté…
Ah, si la boulangère avait répondu à mon « Bonjour madame »
Ah, si elle avait eu de la baguette aux céréales…
Ah, si je n’avais rien dit à propos du prix…
Ah…si l’aimable pharmacienne avait aussi vendu… du pain!
J’aurais peut-être dû justement retourner à la pharmacie, mais pour demander un médicament contre les mauvaises humeurs.
Je reviens cependant vers Jules Renard, qui écrivait:
Notre humeur change plus souvent que notre « fortune».
Je ne sais si ma boulangère aura vu sa « fortune » changer dans le bon sens; toujours est-il que la mienne a été amputée de 10centimes. Bof!
J’ai été contraint de faire contre mauvaise fortune bon cœur…
Mais le plus gênant dans tout ça, c’est que suite à mon passage dans la boulangerie, mon humeur avait effectivement changé, plus vite que ma « fortune » !
Et pas dans le bon sens!!!