Renaissance d'une "gueule cassée"
Dans le texte intitulé "La galère", je racontais comment mon planeur avait fait naufrage en se fracassant au pied des falaises de Carolles. Le fuselage avait été englouti par la mer. Disparu à jamais sans doute.
Tel un pilleur d'épaves, j'avais réussi à récupérer seulement l'aile...
Fortement commotionnée,
(pas autant que moi peut-être!), elle était du style "Gueule cassée"... cette expression me rappelant d'ailleurs mon époque "culottes courtes", où mon grand-oncle Jean m'envoyait
acheter des billets au dixième de la Loterie Nationale... "une main innocente", disait-il!l
Mais face à cette aile esseulée et un peu "destroy", je ne pouvais rester insensible. J'ai donc entrepris de "restaurer" l'épave.
Petit à petit... un peu de colle époxy par-ci, un peu de colle polyuréthane par-là...
La voilure semblait reprendre goût à la vie.
Puis, avisant un fuselage qui traînait sur une étagère, j'ai tenté une greffe. Il s'agissait d'un motoplaneur nommé Diamant, qui possède encore sa voilure en parfait état de marche, elle!
L'adaptation n'a pas été trop difficile: l'intrados de l'aile du Prodij épousant parfaitement le fuselage du Diamant... Il a juste fallu insérer deux servos dans la voilure... (Sur le Prodij, ils étaient dans le fuselage...)
J'avais toujours envisagé de motoriser le Prodij, mais la place étant plutôt chichement comptée dans ce fuselage suppositoire... j'avais toujours remis au lendemin ce projet récurrent.
Je viens de procéder aux essais en vol de ma "nouvelle" machine: cela dépasse presque mes espérances les plus osées!!!!...
Le "nouveau" modèle nommé
ProDiaJ (Contraction de Prodij et de Diamant...) pèse 876 grammes. (Contre 785 pour le planeur Prodij avant sa chute à la mer.)
ProDiaJ est équipé d'un moteur électrique bruhless X-Power 2820/12, d'un accu Lipo 1700mAh en 2S, et d'une hélice 10x8.
La machine possède un taux de grimpée fort intéressant: ça déménage!
Par temps neutre de ce jour, j'ai utilisé le moteur 3 mn 34, et le vol a duré 20 minutes. Apparemment, l'accu n'était pas vide puisque son voltage était encore de 7.56V à la fin du vol... (Vérification après recharge, l'accu a repris 1.2A pour 1.7A de capacité nominale.)
Ce qui maintenant m'encourage à refaire la peinture de l'aile... long ponçage en perspective... certes!
Mais je crois vraiment que le jeu en vaut la chandelle.
J'ajouterai plus tard des winglets en bout d'aile... comme ceux que j'avais confectionnés, mais qui sont partis à la mer... (voir photo ci-contre)
Et mon Prodij va revivre, sous une autre forme...
Qui a dit qu'il fallait jeter les épaves à la poubelle?
La galère
Hier au soir, mon fils Olivier me dit: "P'pa, demain samedi, entre deux passages dépressionnaires, la météo annonce une fenêtre sympa : un vent impec pour Carolles!" (site en bord de mer, dans la Manche, au pied du Cotentin, face au Mont Saint Michel)
Lui, il pratique le parapente après avoir longtemps tâté les manches d’un émetteur. Moi, je suis resté sur le plancher des vaches à piloter mes planeurs radiocommandés..
Nous nous retrouvons donc ce samedi vers midi au parking de La Croix Paqueray. Il a déjà volé une bonne heure.
Puis dans l'après-midi, le vent vire lentement à l’ouest et monte en puissance: tous les parapentistes posent les uns après les autres. Y compris les delta-planes, pourtant moins mal à l'aise dans le vent... Moi je continue de faire évoluer mon Ippon en compagnie de 4 autres modélistes. Restau...
Après plus d'une bonne heure de vol, je décide de changer de modèle: je passe au Prodij, mieux adapté au vent du moment... Vingt minutes d'un vol tonique... Puis ma femme me dit qu'elle a froid, et elle décide de retourner à la voiture en compagnie d'Olivier et de sa copine Sophie..
"OK, dis-je, je pose..."
Mais avant, offrons-nous un dernier petit passage à donf pente à gauche, remontée fantastique (faut dire que la dynamique est joufflue !), léger virage à droite... Le planeur a presque effectué un 180° sans que je touche à grand chose… puis le modèle étant maintenant très haut, je le laisse plonger afin qu’il prenne un maximum de badin … mais ... que se passe-t-il... . merde, il ne répond plus !!!
Accélérant comme un dingue et maintenant vent dans le cul, le Prodij continue son léger virage en descendant, très stable sur trajectoire. Longues… et courtes secondes à la fois, où j'ai tout le temps de mesurer mon désarroi, incapable d'imprimer le moindre mouvement à mon modèle. Il va où il veut!!!! J'essaie d'évaluer le point d'impact futur, et je me dis qu'avec un peu de bol, il va emplafonner la planète vent arrière à mi-hauteur du talus... entre la crête et les rochers battus par la mer montante. Ce qui me permettrait au moins de récupérer quelque chose. Même en mauvais état...
Ben nippe, j'ai entendu un grand boum, mais j'ai pas vu où il a tapé... A pied de la falaise sans doute: dans l'eau, sur les rochers, sur le sable????
Aussi vite que possible, Olivier et moi nous descendons pour aller voir, mais la progression vers le bas est très difficile... http://www.francevuesurmer.com/grand.php?id_photo=2206
Car la putain de végétation nous bouffe les genoux, les cuisses, les mollets...
Je suis tombé je ne sais combien de fois... J'en ai perdu ma casquette favorite, que je n'ai pas retrouvée...
Et puis nous avons fini par apercevoir l'aile ballottée par les flots, surfant magnifiquement à la crête des vagues et galopant vers le petit bout de sable qui restait à découvert. Puis après quelques courts moment d ‘hésitation, elle semblait vouloir repartir comme à regret vers la mer sous l'effet du ressac. Etait-elle attirée par le chant des sirènes lui ayant promis de jouer avec les gentils dauphins ?
Olivier a fini par récupérer l'aile... mais aucune trace du fuselage dans la petite crique que l'on ne pouvait voir d'en haut.
Je suis remonté de mon côté, totalement épuisé...
Tentant une autre voie qu'il pensait moins épineuse, mon fils m'a remonté l'épave de l'aile... qui est bonne à jeter. C’est sûr! Et quand je dis qu'elle est bonne à jeter, ceux qui me connaissent savent qu'elle a dû vraiment morfler pour que je dise une chose pareille!!!! Même sous l'effet du dépit!!!! J'ai souvent réparé des trucs que d'éminents spécialistes de la résine et du tissu de verre n'auraient jamais tenté de réparer!!! Cette fois, je jette l'éponge.
L'origine de ce crash? Je pointe très fort du doigt l’accu réception qui a pu tomber en rade, une prise qui a lâché, la réception radio... ???
Jamais je ne saurai.
Mais les gouvernes n'ont esquissé aucun mouvement durant la descente aux enfers... dans le cas d’un brouillage, les symptômes auraient été très différents.
Je perds donc presque "corps et biens" un très bon modèle... avec tout son équipement radio.
Malgré la grosse toile de mon jeans (fichu lui aussi !) j'ai les jambes en feu, lacérées par les épines et les ajoncs. Les mains pleines de piquants. La tête dans le sac.
Et comme le disait mon ami Pierre, qui a connu une mésaventure un peu similaire avec son aile volante Fauvel : «Il persiste après coup, comme une rage, que rappelleront sans cesse les griffures et autres épines qui vont mettre des mois à bien vouloir sortir de la couenne. »
Sûr que je vais passer une très mauvaise nuit!
PS1: Ceci dit, faut quand même relativiser; ce qui m'arrive n'est que perte matérielle. Un incident portant sur le physique est nettement plus "douloureux"! Plaie d'argent n'est pas mortelle, dit-on!
PS2: Si je peux me permettre d'ajouter ce commentaire à propos de mon Prodij:
Y a-t-il un pilote dans lavion ?
Y a-t-il un pilote dans l’avion ?
Question banale il est vrai, surtout en ce qui concerne nos modèles réduits, puisque par nature, ils sont pilotés du sol ! ! !
Mais cette simple interrogation est à la base d’un bon nombre de blagues mises sur pied par les grands gamins que nous sommes.
Déjà au temps des hélices, les aviateurs de “ grand papa ” agrémentaient les meetings en campagne avec la séance d’Adémaï aviateur. Le speaker captait soudain l’attention des spectateurs en annonçant qu’un type inconnu, ne sachant sans doute pas piloter, venait de “ dérober ” un avion… Et il s‘évertuait dans le micro à donner des conseils que le type se trouvant dans l’avion ne pouvait forcément pas entendre. La supercherie marchait à tous les coups ! ! ! Ce numéro, combien de fois l’avons-nous repris à notre compte lors de nos “ démos ” d’aéromodélisme. Un émetteur bidon était tendu à un spectateur “ innocent ”, mais un vrai néophyte à qui on faisait croire que c’était facile, et qu’il n’aurait qu’à suivre nos conseils… Il va de soi qu’un pilote chevronné s’occupait en cachette du modèle réduit auquel il imprimait des cabrioles propres à émoustiller le public complaisant. Et là encore, succès garanti… Cette aventure se décline sous d’autres versions, dont celle que je vais vous narrer, mais dont je n’ai pas été témoin ! Dommage…
Et c’est un modéliste, un vrai, qui cette fois en fit les frais.
Imaginez une bonne dizaine de galopins réunis pour une séance de vol de pente. L’un d’eux subtilise le quartz émetteur avant le vol de la victime … Au moment du lancer, c’est bien évidemment un autre pilote qui, bien planqué, gère le vol du planeur. Mais “ bizarrement ”, notre piégé semble troublé. Les complices scrutent ses faits et gestes, attendant quelque commentaire. Quand il finit par lâcher : “C’est curieux, mais ce planeur, je ne le sens pas comme d’habitude ; il a un comportement étrange ! ! ! ”
Son propre fils, complice, se voit confier l’émetteur “ inactif ” et clame bien fort (à l’intention du “ vrai ” pilote qui se montrera obéissant pour sûr !) : “ Ben non, regarde, il va très bien ce planeur. Ordre à piquer, il pique, ordre à cabrer, il cabre. Pour un looping et hop ! Tu vois bien, il va tout seul, ton planeur ! ”
Fort étonné, le père reprend les manettes…tâte les commandes… mais il est bien évident que son scepticisme ne peut s’améliorer. Car il constate que « ça fait pas comme d’habitude ! »
« Je vais poser, » confie-t-il.
Et le planeur se pose.
Je ne vous décris pas la magouille à laquelle il avait fallu se livrer afin que la blague réussisse.
Il paraît même que trois vols furent ainsi réalisés dans ces conditions.
Le soir, tout ce petit monde se retrouva à la crêperie. Et notre héros ne cessait de dire : « C’est bizarre, mais mon planeur, aujourd’hui, je ne le sentais vraiment pas. Il doit être complètement déréglé ! »
Et les autres de lui affirmer que non, ce planeur était fort correct…
Mais la plaisanterie ne pouvait durer qu’un temps… La cruauté a ses limites!!!
Et on finit par lui avouer la blague.
Dès lors, notre piégé, pas rancunier pour deux sous, se contenta d’ajouter :
« Ah... Je me doutais quand même bien qu’il y avait un truc ! »
Un “ vrai ” pilote se trouvait dans l’avion, un bon comme on dit ! Il était le plus souvent aux commandes d’un Stampe ou d’un Piper Cub, auquel il faisait subir tout un tas de pitreries du style décollage sur une roue, glissade très prolongée, ratatouillage de moteur… et le commentateur complice en rajoutait une louche afin de faire frissonner la foule des spectateurs. Succès garanti à chaque fois.
Aux pieds!
Aux pieds !
Le modèle réduit, c'est le pied, à condition bien sûr de maîtriser son modèle, et de ne pas piloter comme un pied. Et bon an mal an, nous accumulons ainsi bon nombre de souvenirs au fil des années.
Chacun de nos modèles, par exemple, nous marque plus ou moins. N'avez-vous jamais dit de l'un d'eux qu'il était gentil, lorsqu'il pardonnait généreusement vos erreurs de pilotage ?
Dans votre panoplie, vous avez dû également rencontrer des trucs bizarres avec des réactions pas toujours très saines et que vous n'arriviez pas forcément à comprendre. Ceux-là étaient assurément affublés de qualificatifs comme vicieux... (il en existe bien d'autres, mais la décence m'oblige à ne pas les citer) indomptables, capricieux, que sais-je encore ?
Cela ne vous est jamais arrivé ? Je vous vois sourire... Oseriez-vous cacher que certains sentiments vous lient, vous et vos "petits avions" ?
En ce qui me concerne, j'ai des modèles avec lesquels le courant passe bien, et d'autres que j'affectionne nettement moins, pour les raisons invoquées un peu plus haut. S'il m'arrive de casser l'un d'eux, j'en éprouve moins de regrets. En août 1981, j'avais un planeur tout jaune, de 2 mètres d'envergure, équipé 3 axes, planeur avec lequel mon fils avait fait toutes les pitreries possibles (lorsque je n'étais pas présent sur la pente... ! A savoir jeu de quilles avec des maxi bouteilles d'eau minérale, atterrissage volontaire en vol dos, percussion (involontaire) en vol...
Et dans un grand élan de générosité, mon rejeton m'avait dit cet après-midi là : "Tiens, P'pa, j'te l'prête !" Il pouvait bien le bougre, c'est moi qui l'avais construit ce planeur !
Après quelques minutes de vol, je me mis à préparer l'atterrissage. Quand j'entendis soudain derrière moi quelqu'un crier : "Aux pieds !" (vous voyez que les pieds jouent un rôle important en modèle réduit ! A qui s'adressait cet ordre ?
A moi ? Peut-être, après tout ? C'est vrai qu'on est très fier de l'effet produit sur la galerie quand on pose le modèle pas très loin de ses pieds : cela prouve en tout cas qu'on maîtrise suffisamment le pilotage si on réussit fréquemment ce genre d'exercice.
Au planeur ? Pourquoi pas ! Je vous ai déjà parlé d'un prototype à commande vocale, mais le dit planeur n'en était pas équipé. II est possible aussi que le galopin ayant donné cet ordre se soit adressé à son chien. Ou bien qu'il ait compris que entre le planeur et moi, s'étaient noués des liens d'amitié comparables à ceux qu'échangent un chien et son maître. Le "aux pieds" n'est-il pas utilisé par l'homme qui veut montrer sa domination sur l'animal ?
Et puis après tout, si j'essayais de me l'amener effectivement "aux pieds". Vous n'avez sûrement jamais succombé à ce genre de défi ; vous êtes de marbre, vous ?
Je me campai donc sur mes deux pieds, dos au vent et à la pente, le planeur revenant face à moi. La brise étant assez soutenue, il me fallait garder au modèle un peu plus de vitesse qu'à l'accoutumée. Pas mécontent du tout de mon approche ; à dix mètres de moi, le planeur se présentait bien dans l'axe, les ailes à plat. J'étais même obligé de pousser un peu à la profondeur afin de ne pas le voir repartir au trou. Cinq mètres : c'est tout bon, je pique encore un peu. Ça y est, le fuselage caresse la bruyère, glisse un peu, puis sous l'effet d'une rafale (si, c'est plus glorieux que d'avouer qu'il s'agit d'une fausse manoeuvre de ma part) le planeur redécolle. Ah, M...! Je pousse alors à fond le manche de profondeur et... Clac ! Imaginez la scène : mon gentil planeur se posant sèchement, l'avant du fuselage coincé entre mes deux jambes, et les ailes s'arrêtant au contact de mes chers tibias, après avoir exprimé leur satisfaction dans Les deux bords d'attaque étaient enfoncés jusqu'au longeron ; et je garde le douloureux souvenir d'un atterrissage "aux pieds".
Ce planeur, qu'est-ce qu'il était docile, et bien dressé.
Ne venait-il pas de se blottir contre moi, afin de me montrer toute son affection ? Touchant, n'est-ce pas ? un craquement joyeux.
Texte rédigé en 1987
Illustration de Gérard Pierre-Bès