Mieulx est de ris que de larmes escrire
« Mieulx est de ris que de larmes escrire
Pource que rire est le propre de l’homme.
Vivez joyeux »
C’est ainsi que le bon François Rabelais termine la préface du « Livre Premier » qu’il a consacré à son géant Gargantua…
Mieulx est de ris…
Mais revenons à nos moutons… comme dirait Panurge !
Dans une récente rubrique intitulée « Vive le camping », je vous disais toute ma passion pour cette activité, qui permet de faire d’agréables rencontres.
Tout comme celle que je fis dernièrement.
Que je vous narre :
Profitant d’un calme soir d’été, je sors un ch’tiot modèle d’avion électrique que je m’amuse à faire voler au bout du camping. Un petit groupe de spectateurs se forme. Et parmi eux, un élégant Hollandais, qui commence à me poser tout un tas de questions.
La conversation allant bon train, elle déborde très vite de l’aspect purement aéromodélisme.
Et mon interlocuteur de me dire dans un français très correct tout l’amour qu’il porte à notre pays. Ajoutant avec joie qu’il séjourne en France tous les ans depuis 1985…
Plus de 20 ans de fidélité infaillible ! Et comme notre homme est à la retraite, il précise qu’il a bien l’intention de profiter le plus longtemps possible des délices que propose la France…
D’ailleurs, à l’entendre évoquer ses souvenirs « françois », je me dis qu’il a une solide connaissance de nos régions, de nos paysages, et aussi de nos produits locaux.
Ne me quitta-t-il pas sur ces mots : « Bon appétit ! Moi, je vais déguster une bonne choucroute d’Alsace ! »
Nous n’étions pourtant pas au pays des cigognes, mais bien sur les bords de Loire…
Par la suite, chaque fois que nous nous croiserons, nous échangerons quelques mots…
Lorsqu’un soir, je le vois s’approcher de mon campement. Il a l’air un peu « excité »… « fun »… Il a visiblement quelque chose à dire :
« Bonsoir. Avec ma femme, nous sommes allés à Chambord ! Que de monde ! Mais c’est merveilleux… je n’ai pas assez de mots pour expliquer… »
De mon côté, il se trouve que ce jour-là, je suis allé visiter le château de Cheverny, celui dont Hergé se serait inspiré pour dessiner Moulinsart, la demeure du capitaine Haddock. Là aussi, une queue impressionnante à l’entrée du château.
Mais revenons à nos moutons…
Chambord avez-vous dit ?
Voilà qui me rappelle quelques vieux souvenirs.
Que je m’empresse de raconter à mon ami hollandais :
« Il y a de cela quelques années, ma femme et moi, nous avons visité Chambord. Et nous avions été surpris par la rapidité avec laquelle les groupes de japonais effectuaient la visite. Puis clic-clac ! Ils prenaient rapidement une photo souvenir avec le château en arrière-plan échangeaient mutuellement leurs appareils, et remontaient précipitamment dans le bus qui les conduirait vers un autre haut lieu de notre patrimoine…
Nous en avons bien ri ! »
C’est alors que je vois le visage de mon interlocuteur faire la moue…
Un temps de flottement dans la conversation… Tel un alpiniste mal encordé, il semble avoir « dévissé ».
Puis se ravisant, il me demande : « Vous avez dîné à Chambord ?»
Cette fois, c’est moi qui « dévisse »…
« Non, non, nous n’avons pas dîné à Chambord… pourquoi ?
- Mais…les Japonais, le riz… »
Ah… bon sang, mais c’est bien sûr !
Traîtresse langue française… qui mêle les sonorités propres à faire trébucher une oreille pas tout à fait aguerrie. Face à des mots qu’elle juge incongrus, la pensée tente de s’accrocher à ce qu’elle peut, essayant de reconstituer un puzzle dont elle n’entrevoit pas l’image finale… ce qui l’amène à s’égarer parfois dans une errance fatale.
Mon compagnon avait fait l’amalgame entre les petits hommes jaunes et leur nourriture, à cause du « nous en avons bien ri ! »
Ce soir-là… Incompréhension réciproque… bien évidemment.
Lorsque j’eus moi aussi remis les pieds sur terre, je me mis à expliquer que mon ri n’avait rien à voir avec le riz tant apprécié des Japonais…
Et rassemblant mes souvenirs scolaires afin de bien assurer le coup, j’essayai de traduire « nous avons bien ri » par « we laughed well » ou « wir haben gut gelacht ».
Le visage de mon ami s’éclaira à nouveau.
Nous venions de lever le quiproquo.
Nous sommes alors partis tous les deux dans un grand éclat de rire.
Nous avons bien ri…
Suivant ainsi à la lettre l’ordonnance du bon docteur François Rabelais :
« Mieulx est de ris que de larmes escrire
Pource que rire est le propre de l’homme.
Vivez joyeux »
Ce que je vous souhaite à tous.
Heureux qui comme Ulysse
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?
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