Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Photo / VTT / Billets d'humeur /  Géocaching / Modélisme / Années 50

Les chaussures

28 Octobre 2007 , Rédigé par Bernardino Publié dans #Chroniques des années 50

Lorsque j’ai eu environ cinq ans, je suis tombé malade, et après avoir consulté plusieurs médecins, mon père décida de m’envoyer me refaire une santé chez sa sœur Clémence(1). Elle habitait Mèze, dans l’Hérault pays natal de mes parents, « là où le climat et les produits locaux fabriquent des centenaires» (2) disait mon père en rigolant. Clémence vivait au bord de l’étang de Thau dans cette petite ville qui a rapidement prospéré en raison du développement des huîtres et des moules   «cultivées » dans l’étang salé.
Son mari, Edmond, était de souche provençale… il avait hérité de ses parents une petite vigne qu’il allait exploiter fort tôt le matin, au  mas de «Min Trou » (la fermette de « mon trou» ); il s’y rendait en vélo. Mais il exerçait la profession de cordonnier.
Ils avaient eu un fils prénommé André, mort prématurément à l’âge de … 5 ans.
Je suis arrivé dans cette famille un peu comme le nouvel enfant du couple. J’y ai été choyé…
En dehors du travail des pêcheurs et des vignerons, ce séjour d’environ un an m’a permis d’observer pendant de longues heures mon oncle dans son petit atelier.
C’étaient surtout des dames qui venaient. Mon oncle observait les chaussures, évaluait les travaux à effectuer, et si la dame était d’accord, il fixait une date pour la restitution et il terminait l’entrevue en inscrivant à la craie, sous la semelle, le nom du propriétaire. Il est bien évident que je n’avais pas vu tous les client(e)s de mon oncle; mais je me livrais à un jeu passionnant: rien qu’en observant les chaussures alignées sur les étagères, je tentais d’imaginer le personnage qui pouvait glisser ses pieds dedans. Et le choix était vaste: il y avait les fins escarpins, les talons hauts, les espadrilles, les chaussures à lanières, les somptueux souliers de cérémonie, les petits petons des gamins, les bottines, les gros godillots des vignerons…
Curieusement, lorsque les dames revenaient récupérer leur bien, leur style correspondait assez souvent à l’image que j’avais pu m’en faire. Mais le portrait des rares hommes qui entraient dans la boutique collait lui aussi assez bien à mon portrait imaginaire!
Quelques années plus tard, j’ai aussi passé de longues heures chez un autre cordonnier; c’était à Villaines la Juhel, là où je séjournais souvent aux vacances scolaires.
Prosper ressemelait les chaussures. Il me disait qu’il était originaire d’Izé. Moi, je ne connaissais pas! « Mais, me disait-il, c’est facile, tu sors de Villaines, tu prends la route de Trans, là où il y a le canon sur la place du monument aux morts, et devant l’église tu tournes en direction d’Izé! » Ouais… Je connaissais Mèze, à 800 km de là, mais je ne connaissais pas la proche géographie de la Mayenne!
Chez Prosper, je me livrais aux mêmes jeux que chez mon oncle. Mais Prosper s’avérait nettement plus bavard qu’Edmond: il commentait   son travail, me donnait le nom des outils, m’expliquait leur maniement, justifiait l’emploi des différents matériaux utilisés pour remettre en état les souliers de « ses dames »!
Dans cet univers fait exclusivement de godasses, on aurait pu s’attendre à une ambiance « odeur de pieds »… Et bien non, les deux échoppes que j’ai pu fréquenter embaumaient le cuir, le caoutchouc, et la furieuse colle néoprène. Celle qui a la particularité d’être collable alors qu’elle semble sèche! Et pour laquelle il faut taper à grands coups de marteau sur la semelle afin de solidariser les pièces à assembler.
Cela sentait nettement plus fort juste en face, chez l’horloger Jean Schneyder, lorsqu’il fallait nettoyer les horloges comtoises à l’ammoniaque.
Mais le gros souci de mes deux artisans, c’étaient les séduisants talons aiguilles. Ce n’était pas une sinécure que de percer un trou bien droit dans ces fichus talons à la tige fort étroite, et ensuite trouver la cheville métallique qui conviendrait…
Chez Prosper, j’ai souvent refait le Monde... Surtout quand je suis devenu adolescent. La cordonnerie, c’était le salon où l’on cause: on abordait tous les sujets… comme chez le coiffeur!
J’ai eu l’occasion  de rencontrer un autre cordonnier… lorsque j’ai été   pensionnaire au Lycée. Le jeudi jour de congé, nous pouvions bénéficier d’une longue récré de 10 à 11. Et nous en profitions pour massacrer gaillardement nos baskets lors de parties de foot acharnées. Quand nos godasses demandaient une remise en état, nous demandions à la concierge du « Bahut» la permission d‘aller voir « Ouin-ouin », le cordonnier qui habitait juste en face de sa loge. Le pauvre homme possédait un affreux bec de lièvre qui handicapait son élocution, et nous ne comprenions pas toujours ce qu’il disait; lorsqu’il nous indiquait le prix à payer, il finissait par l’écrire nerveusement à la craie sur la semelle, puis ajoutait: « H’as homp’is? » (Tu as compris?) Il se raclait la gorge et dans la foulée envoyait un violent crachat sur la semelle qu’il essuyait prestement avec le revers de la main. Si on avait les sous, on payait, sinon, nos parents s’en chargeraient lorsqu’ils viendraient nous chercher.
Pour faire durer leurs baskets, mes copains les frères Levasseur avaient mis au point une technique épatante: l’un était droitier, l’autre était gaucher. Chacun sait qu’au foot la chaussure qui s’use le plus rapidement est celle dont on se sert le plus souvent. Et lorsque leur « pied favori » était usé presque au point   de jeter leurs baskets, ils les échangeaient afin de prolonger l'usage de leurs godasses! Ce devait être aux alentours de la classe de 4 ème ou 5ème...
 
Un jeudi matin, jour de marché à Château Gontier, je vois avec surprise arriver mes parents.
Qui, constatant l’état de mes godasses, se proposent de demander un billet de sortie au surveillant général afin de me chausser avec des souliers convenables. Chez le marchand, j’eus toutes les peines du monde à tenter d’expliquer que je souhaitais avant tout des chaussures « utilitaires », comprenez par là, des chaussures permettant de shooter lors des récrés.
Peine perdue, on était à l’entrée des grands froids: je me retrouvai avec des chaussures après-skis fourrées, fermeture à glissière, épaisse semelle… Et mon père d’ajouter: « Vu que tu grandis du pied en ce moment, on a bien fait de te les prendre un peu plus grandes; avec une semelle dedans, elles te dureront plus longtemps! »
(détails qui ont leur importance, vous verrez pourquoi dans peu de temps)
 
Intérieurement, je pestais, mais…
On me ramena vers ma pension, et comme la grande récré n’était pas encore finie, les copains m’incorporèrent   dans une des équipes afin de terminer la partie.
C’est alors que voulant effectuer une reprise de volée à la façon du grand Pelé, je vis le bout de la semelle droite attraper la balle, et… un caillou proéminent. Bilan des courses: ma godasse toute neuve bâillait béatement. Temps d’utilisation entre l’achat et le shoot: moins de 20 minutes!
 
Je fus donc contraint de réutiliser mes vieilles baskets.

Mais quand je rentrais certains samedis, mes parents s’étonnaient de ne pas voir mes jolis après-skis! Et pour cause, ils étaient restés bien sagement rangés au fond de mon placard. Et comme je n’avais pas suffisamment d’argent de poche, je ne pouvais envisager de faire procéder à une réparation chez Ouin-ouin!   Réclamer de l’argent à mes parents? Il aurait fallu expliquer pour quelles chaussures ils devaient payer.
Je vous laisse cependant imaginer l’accueil qui me fut réservé le jour de la sortie pour cause de grandes vacances!
Si seulement, avant de rentrer chez moi, j’avais pu   refiler ma godasse béante à mon oncle Edmond ou à Prosper!
 
 
Légende photos:
(1) tout en haut, avec ma tante Clémence sur l'esplanade à Mèze
(2) article paru dans le Midi Libre en octobre 2007... pour fêter les 100 ans d'Edmond! J'ai rédigé ce texte sur les souliers en 2005...
(3) la boîte à clous d'un cordonnier
(4) la classe de première au Lycée de Château Gontier. Je suis au premier rang, le second en partant de la gauche, la mine triste, les mains jointes... Et pourtant  mes chaussures semblent en bon état!
Lire la suite

Au détour du chemin…

10 Octobre 2007 , Rédigé par Bernardino Publié dans #Billet d'humeur

Le fait de ne plus être « aux affaires » modifie parfois profondément le comportement des êtres humains. Du moins en ce qui me concerne.

J’aime  donc prendre mon temps. Surtout depuis que je suis « inactif » … vous l’aurez compris.

C’est ainsi qu’en voiture je ne cours plus après le temps à rattraper…

Mon   carnet de rendez-vous est aussi  aéré  que possible…

Et ce « nouveau temps » qui est le mien  m’offre l’opportunité  d’effectuer des promenades à mon  rythme, sans grand souci de l’heure d’arrivée. 

Il faut dire que j’ai la chance d’habiter une région de bocage, et que le premier chemin creux se trouve à 50 mètres de mon domicile.

Dois-je vous dire également que j’ai fait un adepte ?

Dès qu’il a eu la capacité d’avaler quelques centaines de mètres à pied, mon petit-fils a emboîté le pas… ce qui me ravit profondément.

« Papy, on va faire une petite balade ? »

Combien de fois avons-nous posé nos fesses le long d’une haie pour embrasser du regard le paysage qui s’offre à nous ?

Combien de fois  avons-nous  arrêté notre marche pour observer un défilé de fourmis traversant le chemin creux ?

Combien de fois avons-nous modifié notre itinéraire afin de bifurquer vers une haie où l’on pourrait trouver des mûres, des noisettes, des prunes, des pommes… ? Et revenir les poches pleines de provisions.

Heureux moments !

Lorsque l’on se promène à pied,  ou  à vélo, l’œil a le temps de fixer des détails parfois inattendus.

J’en veux pour preuve certaines rencontres avec des pancartes qui ne manquent pas de surprendre.

Ainsi celle que je vis récemment pas très loin d’Etretat, à l’entrée d’une propriété entourée de hauts murs et bien à l’abri derrière un immense portail métallique.

En gros caractères et sur quelques mètres de long s’étalait ce message : « Interdit aux cons ! »

Voilà qui interroge sur les intentions du propriétaire et sa façon de vivre ! N’est-ce pas ?

Parmi les panonceaux qui m’amusent –parfois-, figurent ceux destinés à mettre en garde un éventuel  intrus.

Vous avez tous rencontré le classique  des classiques : « Attention, au chien ! »

Et le non moins classique « Je monte la garde… »

On franchit un degré lorsque l’avertissement devient «  Attention chien méchant ».  Ou encore "Chien vache!".
Avec quelquefois cette mention « Vous entrez ici à vos risques et périls… »

Grrrr, voilà qui ne me donne  guère envie de rencontrer le maître des lieux.

 

Mais il arrive qu’on trouve nettement plus « folklorique ».

Ainsi celui que je vis dans une petite rue à Champeix en descendant  du château…

«  Chien lunatique »

Le jardin qui se trouvait derrière laissait supposer que l’on avait affaire à un propriétaire quelque peu fantasque. J’aurais volontiers poussé la porte…

 

Dans une domaine un peu semblable, il faut noter  ce panneau, bien en évidence  à l’entrée du  château de Fougères sur Bièvre : «  Attention ! Chien marrant ».

Je n’avais jamais vu…

Et dans le parc gambadaient des poules naines, des coqs chamarrés, des pigeons au jabot rebondi… Pas de chien!

Là encore, j’aurais volontiers poussé la porte…

 

Parmi les  surprises figurent également les noms de rue. C’est ainsi que sur l’Île d’Oléron, je me trouvai face à un carrefour avec cette mention sur un mur : « Impasse de la Paix ».  Il ne me serait jamais venu à l’idée d’associer la Paix à une impasse. Bien au contraire !

Autre  exercice de style, cette pancarte à l’entrée d’un pré : sur la première ligne on pouvait lire « Attenti »  et sur la seconde : « Taurea »   Le « peintre » avait dû fort mal calculer  la taille de ses lettres, et il  avait été contraint d’abréger la fin de chaque mot. J’avais malgré tout compris le sens du message, surtout  à la vue du monstre  se trouvant derrière la clôture : il ne me serait  jamais venu à l’idée d’aller tailler une bavette avec lui !!!

 

Mais je ne voudrais pas oublier de signaler la toute dernière de mes découvertes. Elle se trouvait  dans la vallée de la Loire, à l’entrée d’un village qui baignait littéralement au milieu des vignes :

« Chemin des gosiers secs ! »

A croire que les vignerons du coin n’avaient pas de quoi se désaltérer.

 

En ce moment c’est  le temps des vendanges.

Le soleil pointe le bout de son nez.

L’automne a incendié certains arbres  dont les couleurs rutilent.

Les feuilles s’amoncellent dans le creux des chemins.

Au fond du vallon, je vais pouvoir  trouver quelques noix.

J’abandonne sans regret  mon clavier afin d’aller prendre un bain de Nature.

 

Et trouver au détour du chemin, qui sait, une pancarte  inattendue !

 

 

Lire la suite