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Trente ans: discours

2 Février 2025 , Rédigé par Bernardino Publié dans #Chroniques d'un instituteur original

En raison d'une sono peu performante n'ayant pas permis de bien saisir mon discours, on m'a demandé de... Vous trouverez donc ci-dessous la totalité  de mon intervention.

Trente ans:  discours

Le vieil instit que je suis a été  contacté pour faire un exercice scolaire nommé rédaction,  dont le sujet serait : histoire des écoles  de la commune de Bais. (Vous avez deux heures, je relève les copies)
Et vous le savez bien, toute histoire comporte forcément des dates. 1515, 732… ce que nous apprenions autrefois !
Tout cela me conduit  inévitablement à évoquer l’imposant bâtiment situé route de Trans.
Conçu  de façon ostensible en 1905 à la gloire de la République, il fêtera cette année ses 120 ans. Actuellement dénommé « centre culturel Raoul Couzin ».
Raoul Couzin était cantonnier. Ainsi dénommait-on le directeur de l’école de garçons située au chef-lieu de canton. Il était chargé de la bonne organisation du certificat d’études, du brevet sportif populaire ainsi que du lendit.
En 1963, sont créés les collèges, et on charge les cantonniers de les mettre en place… avec parfois des moyens dérisoires, ne serait-ce qu’au niveau des locaux. On tente d’y remédier avec des préfabriqués que la plupart d’entre vous ont sans doute  fréquentés.
Arrive l’année 1966 qui, du point de vue pédagogique,  sera une année charnière pour notre commune.
Raoul Couzin fait valoir ses droits à la retraite.
De ce fait, les deux casquettes qu’il porte sont réparties ainsi : la direction de l’école de garçons échoit à Pierre Duval, et celle du collège à Daniel Desmots qui arrive du collège d’Evron en compagnie de son épouse Monique.
 Cette même annéee 1966, on envoie  les jeunes mariés que sont Annie et Bernard Munoz boucher les trous dans le personnel. 
Suite au décès de madame Duval en juillet, Annie sera chargée d’une classe difficile à l’école de filles dont Alice Rondi prendra la direction.
Bernard héritera d’un CP/CE1 laissé vacant par un instit qu’on aura prélevé afin d’assurer les cours d’anglais au collège.

L'année scolaire 1966/1967 s'avance, jusqu'à ce le jeune couple Munoz voie arriver un soir Pierre Duval, Alice Rondi et... Albert Chauveau, le maire.  Qui "débarquent" sans préavis à la porte du logement de fonction tout en haut de la ruelle des Petits Champs.
Après les préliminaires d'usage, monsieur Chauveau nous demande ce que nous avons l'intention de faire à la prochaine rentrée.

"Je suis sursitaire, marié... de ce fait, je vais demander une affectation au 38ème RIT de Laval, et Annie postulera pour une école de la banlieue."

Monsieur le Maire semble devenir tout rouge en me  disant:
"Mais vous ne comprenez donc pas?
- Heu, ben non... Qu'est-ce qu'il y a à comprendre?
- Nous venons vous dire que la population voudrait  que vous restiez à Bais... et nous aussi!"

Ce qui n'était pas du tout notre programme. Nous avons alors  demandé à réfléchir, et quelques jours plus tard,  nous sommes allés voir monsieur le Maire, en lui demandant s'il consentait à faire des travaux dans le logement de fonction (Rappelons qu'à cette époque les instituteurs  étaient logés par les  communes).
Il accepta... et nous  restâmes, avec la promesse de  monsieur Chauveau qui se chargerait des négociations plus ou moins académiques, (c’est le cas de le dire!) avec l’inspecteur d’Académie, le Préfet et les élus du personnel enseignant.
Quelques années plus tard, l’école de garçons et l’école de filles fusionnent.

En 1978, le collège déménage pour s’installer dans ses locaux actuels
Toujours en 1978, Pierre Duval décède. Sa sépulture aura lieu le jour de la mémorable tornade d’Izé.

Suite à quoi, je suis instamment  prié de prendre la direction de l’école, ce qui ne me tentait guère. Il aura même fallu qu’un inspecteur descende à Bais afin de  me signifier : « Vous avez 24 heures pour réfléchir ! »
Néanmoins, poussé amicalement(?)  par mes collègues, j’ai accepté d’assumer sans aucune décharge cette lourde tâche durant de longues années,  avec des épisodes  marquants, dont celui ayant trait à l’école pour laquelle  nous fêtons aujourd’hui les 30 ans.

En abordant le chapitre concernant ce groupe scolaire, je vais inévitablement réveiller quelques souvenirs passionnants, et passionnels.
Sans vouloir raviver la polémique, il est nécessaire de rappeler que les bâtiments de la route de Trans nés en 1905 et  ceux de la maternelle abritant maintenant la salle de Oy-Mittelberg   se dégradaient lentement, ce que ne manquaient pas de souligner lors de leurs différents passages les inspecteurs de l’Education Nationale comme en témoigne un document  en date du 23 février 1989.

Les enseignants n’étaient pas les seuls à s’impatienter…
Et c’est ainsi  que la bombe éclata,   à la rentrée de septembre 1989.
Un petit groupe de parents manifestait devant l’école, pétition en mains.
Cela fit grand bruit dans notre petite commune… et au-delà, puisque les médias s’emparèrent de l’affaire.  

Les relations avec la municipalité se tendirent… chacun campant sur ses positions.
Mais il semblait que chaque partie ait pris conscience qu’il devenait urgent de faire quelque chose.
Différents projets vont alors voir le jour.
Groupe scolaire neuf, vite abandonné.
Extension-rénovation en maintenant chacune des deux écoles sur site… également repoussé.

En  mai 1992,  j’adresse un courrier à monsieur le Maire  en lui faisant part de mes propres réflexions.  Madame Rondi, ma  collègue de maternelle en fait autant.
Nos arguments se rejoignent  sur le fait  qu’en cas de rénovation,  l’ampleur des travaux ne permettra pas une réalisation sur les seules vacances d’été. Pour ma part, j’ajoute  qu’une construction neuve implantée  près de la salle polyvalente présenterait de nombreux atouts : proximité de la cantine et du collège, vaste parking… sans omettre le fait que le centre économique de notre village-rue a pour vocation de se déplacer vers l’Ouest. Et je termine en faisant des propositions sur la réutilisation future des deux écoles qui seraient dès lors disponibles pour des activités de loisirs par exemple.
Mais  les choses ne semblent guère avancer.
Les parents d’élèves se montrent de plus en plus pressants.
Rentrée 93, nous perdons une classe : effectifs insuffisants ; Guy Lahellec part pour Evron.
Et c’est au cours de cette année scolaire que le coup de théâtre se produit.
Une délégation de parents assiste au conseil municipal  dont l’ordre du jour  doit évoquer le choix des travaux à effectuer. Monsieur le maire expose alors que  les délais ne permettent pas de rénover. Mise aux voix.
Et une grosse majorité  de conseillers vote  en faveur de locaux neufs.
Vers 21 heures ce soir-là, je vois débarquer chez moi une bande d’excités m’annonçant la nouvelle, et me priant de bien vouloir faire sauter le champagne.
Devant mon incrédulité, ils finissent tout de même par me convaincre, et nous arroserons longuement « la bonne   nouvelle ».
A partir de cet instant, les relations vont devenir plus harmonieuses.
Nous allons faire en sorte qu’une commission extra-municipale soit mise en place : y siègeront des élus de la municipalité,   des représentants de parents, ainsi que Nicole Leduc devenue directrice de l’école maternelle après le départ en retraite de Madame Rondi, et moi-même, directeur de l’école élémentaire.

Cette commission va fonctionner  avec efficacité.
Chaque mercredi matin,  en compagnie des différents  corps de métier, nous rencontrerons monsieur Yves-Marie Belaud, qui a été choisi en tant qu’architecte,
Monsieur Belaud, qui ne manquait pas de nous rappeler à quel point notre cahier des charges lui avait été difficile à tenir: plain pied, forme arrondie... j’en passe et des meilleures...

Mais au cours de ces  échanges fructueux, chaque partie exposait ses commentaires, posait  des questions…

Et tout  au long de la construction, les enseignants vont demander à gérer un certain nombre de choses, dont les revêtements : tapisseries, carrelages, ainsi que le renouvellement d’une partie du  mobilier. La consigne du Maire étant : « Moi, du moment que vous restez dans l’enveloppe budgétaire… »
Quant à l’architecte, sa stratégie était comparable : « Je veux bien pousser une  cloison, mais pas un mur porteur ! »
L’hiver particulièrement humide va malheureusement retarder les travaux.
Si bien que la rentrée prévue pour septembre 94 se verra repoussée à novembre de la même année. Cette même rentrée verra partir Gisèle Petiot, dont vient d’être supprimé le poste de « soutien » que l’on nous avait demandé d’expérimenter…  avec succès pourtant !

Tout au long de la construction, nous avons effectué avec les élèves de nombreuses visites afin de suivre l’évolution des travaux..
Parallèlement  j’ai pris une grande quantité de photos qui ont été utilisées afin de réaliser une  courte vidéo projetée dans l’une des salles.

Restent gravées dans ma mémoire les images du  déménagement ! Exécuté aux vacances de Toussaint en collaboration avec le personnel municipal.
Tous les enseignants sur le pont.
J’ai le souvenir d’être rentré chez moi certains soirs  complètement vanné… mais heureux du travail réalisé.

Autre moment fort : le jour de cette seconde rentrée… où mes CM avaient rédigé des textes dans lesquels ils évoquaient leur ressenti.

Et puis nous nous sommes tous appropriés  ce nouveau bâtiment. Dont un Inspecteur   le visitant me dit un jour : « Monsieur Munoz, je découvre une école accueillante, bien conçue, avec des maîtres et des élèves radieux ! ça fait vraiment plaisir à voir !»

Nous venions de palper la réussite de l’entreprise. Et si j’ajoute que lors de chacune de ses visites, l’architecte ne manquait pas de souligner :
« Le bâtiment  ne bronche pas, aucune trace d’usure, il est toujours neuf ! Comme j’aimerais qu’il en soit ainsi de toutes les constructions auxquelles j’ai participé ! »

L’inauguration se fera le samedi 26 octobre à 14 heures, en présence  de Monsieur Desmots Maire,   deux ministres : François d’Aubert et Jean Athuis, ainsi que de nombreuses personnalités départementales.

J’ai pu bénéficier de ce groupe scolaire  jusqu’en juin 2000… où en compangie de mon épouse je l’ai quitté pour partir en « grandes vacances. »

Mais je ne saurais clore mon texte  sans mentionner une fois de plus le fait que je venais de vivre une  expérience exceptionnelle, qui restera un fait marquant de mon parcours professionnel.

Avant de mettre un point final à ma rédaction, et dans la mesure où vous avez été tous très très sages, je voudrais vous conter une histoire.

Il était une fois…
Ce devait être peu de temps après la rentrée de novembre 1994.
J’aperçois une fillette, plantée au milieu de la cour côté école primaire.
Afin de ne pas l’effaroucher, je m’approche doucement…  je me penche, et je lui glisse à l’oreille :
« Dis-moi, à quoi tu penses ? »
Un temps. Et puis elle   murmure : « A rien... »

Je laisse passer quelques instants, et je poursuis :
« Vraiment ? Tu ne penses à rien ? »
Nouveau silence.
Que je romps doucement en ajoutant :
« Entre nous… ça restera un secret... »
Long silence à nouveau.
Puis  joignant lentement le geste à la parole, elle dit tout bas :
« Cette école, je l’aime déjà… parce que je sens qu’elle a envie de me prendre dans ses bras ! »

Merci à vous tous pour votre attention...

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