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On voit tellement de choses ces temps-ci…

8 Mai 2008 , Rédigé par Bernardino Publié dans #Humour et modélisme

Ce matin brille un soleil radieux qui m’invite à faire une petite séance de vol. Le  vent vient du Sud-Sud-Est…
Il s’avère  cependant que notre région n’est pas réputée pour détenir des collines permettant de pratiquer le vol de pente avec ce type de brise…
M
ais, équipé d’un motoplaneur électrique, je pars quand même en quête d’une prairie afin de pouvoir décoller.
C’est pourtant  pas facile à dénicher en ce début de printemps ! Entre les champs qui viennent d’être labourés, ceux dans lesquels on a abondamment égaillé du fumier…  Ceux destinés aux foins et où l’herbe commence à être trop haute…
Mais le hasard fait parfois bien les choses ! Remontant le chemin touristique du Gros-Roc, j’avise un oiseau qui semble profiter d’un courant ascendant. Il est juste au-dessus d’un herbage pentu occupé par quelques jeunes bêtes qui paissent paisiblement tout en bas.

Je gare mon véhicule, je sors le modèle du coffre, je passe sous la clôture, je branche les fils ;  petite visite pré-vol pour  essai moteur et gouvernes. Et je lance !

Mon planeur prend gentiment de l’altitude…
Passe alors très lentement un véhicule utilitaire… qui monte la  petite route…

 

Véhicule que je vois redescendre presque aussitôt, et qui se gare à côté de ma voiture…
J’en vois descendre un homme de taille moyenne, abrité sous une casquette à carreaux, vêtu d’une salopette bleue et muni d’un bâton de vacher ; il enjambe la clôture, et  se plante là…

Je pose alors prestement  mon modèle : durée du vol : 2minutes 45 !
Puis  je me dirige vers le nouveau venu.
C’est moi qui ai le redoutable honneur d’entamer  la conversation.
« Bonjour Monsieur, je suis sans doute sur une de vos terres…
- Ouais… que me fait l’homme en mâchouillant un mégot de cigarette roulée qu’il a  scotché sur  sa lèvre inférieure. (Comme une sorte de Lucky Luke du Far West  de la France!)
- C’est la première fois que je viens ici, c’est pour un essai… dis-je timidement
- Ouais… »
Mon homme ne se montre guère causant.  Par opposition aux bavards que l’on nomme par chez nous les « causeux », celui-ci  doit être un « taiseux »….

Long silence. Et avisant mon boîtier d’émetteur, il me jette :

« C’est quoi vot’ truc ? »
Je commence à lui expliquer…
Mais cela ne semble pas vraiment l’intéresser.

Silence…
Puis  il reprend :
« Vous avez vu, y’a des bêtes ? » 
A mon tour de causer à l’économie : 
« Ouais ! »
« Et elles sont toutes folles de ce temps-là ! 
-   Ah ? cela ne m’a pas semblé… mais si je m’étais rendu compte de leur énervement, je ne serais même pas entré dans cette prairie…
-   Ouais,  que me fait l’homme en mâchouillant toujours son mégot  qu’il s’efforce de  faire durer le plus longtemps possible.
-   Mais c’est souvent que j’utilise un herbage pour faire décoller mes modèles. Dans le coin, les gens me connaissent… »

Pas de réaction…
J’enchaîne alors :
« Voyez, mon appareil,  c’est du polystyrène, et  quand je mets le moteur électrique en route, y’a pas de quoi affoler le monde avec le bruit… »
Long silence… Et laissant un vide après chaque phrase,  il commence à égrener :
« Ouais… mais les bêtes, elles sont toutes folles de ce temps-là ! 
Et pis, on voit tellement de choses ces temps-ci…
Moi, faut que je vienne de Sainte-S…
Hein, si les bêtes elles foutent le camp du champ, hein ? »
Voilà  mon taiseux devenu soudain bavard. Placide, mais bavard…
Je crois alors comprendre qu’il me faut  le rassurer.
Et moi d’expliquer  alors que… et encore que… et  puis encore que…
Et à chacun de mes arguments en vue de lui montrer que j’étais un type responsable, accueilli partout aux alentours sans problème… mon homme de ponctuer systématiquement, sobrement, imperturbablement :
« Et pis… on voit tellement de choses ces temps-ci… »
Long silence à nouveau… que je tente pourtant de rompre avec cette invite :
« Bon, alors,  quand  les bêtes ne sont pas dans le pré, me donnez-vous l’autorisation de… »

Et là, il me coupe sèchement :
« Ouais, mais  on voit tellement de choses ces temps-ci… »

Cela m’a rappelé un souvenir du même style : c’était il y a bien longtemps, à quelques dizaines de kilomètres  de l’endroit d’aujourd’hui, où j’avais été accueilli par un  paysan  « taiseux » muni d’un sorte de hallebarde… et qui là aussi  n’avait rien voulu entendre.

 

Le temps semble long, très long,  dans ce genre de… dialogue…
Mon homme du  jour s’est éloigné lentement, il est descendu voir ses bêtes… et le temps que  je  remballe mon modèle dans le coffre, il était déjà revenu. Je lui  fais alors remarquer qu’en l’absence de son consentement, j’avais rangé mes affaires…

Long silence… Lourd silence…

Je tente de renouer le contact,  et j’ai  l’audace de tenter  timidement une nouvelle fois : 
« Mais… s’il n’y a pas de bêtes dans le champ… ??? »
Il ne me répond pas.
Lucky Luke  continue de mâchouiller son mégot, et la tête baissée, il martèle  très lentement le sol en cadence  avec son bâton qui  tinte douloureusement sur le goudron. Ce n'est pas le supplice de la goutte d'eau, mais en ce qui me concerne, ça lui ressemble!
Puis il se décide à  ouvrir  la porte de sa voiture, et me lâche sur un ton monocorde,  empreint d'une   sobriété dont il doit faire preuve quotidiennement : « Au revoir monsieur… »

Il ne m’a pas refusé l’accès de sa prairie.
Il ne m’a pas dit oui...   il ne m’a pas dit non…
Un Normand égaré dans le Bas-Maine ?
Mais il est parti, me laissant là comme un péquenaud.

Ne vous l’avais-je pas  dit ?
« On voit tellement de choses ces temps-ci… » 

 -----------------------------------    En guise d'épilogue --------------------

Dans mon récit,  j’ai omis volontairement un petit détail, le détail qui tue! Car il me suffira de grimper d’une cinquantaine de mètres, me placer dans la prairie à gauche de la route, en face celle que j’ai voulu utiliser hier, pour  balancer mon motoplaneur de cet endroit, et  ensuite  aller exploiter la pentounette que je visais… car dans cet herbage côté gauche, qui permet déjà de balancer aussi en direction de l’OSO, l’agriculteur m’a donné son feu vert !!!  

         J’irai ainsi survoler les « terres interdites » en toute impunité…

Comme quoi, à malin, malin et demi !!!
Voyez, c’est presque un conte   à la manière de Maupassant !!! 

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B
Hier au soir, je croise la jeune femme propriétaire du pré situé juste à gauche de celui appartenant à mon "taiseux" Lucky Luke. Et sans lui dire que j'avais rencontré des problèmes avec son voisin le taiseux, je  demande à mon interlocutrice: "Dites-moi, le fermier d'à côté, celui qui a des bêtes dans le pré juste en face votre herbage..." je n'ai pas le temps de finir ma phrase qu'elle part dans un grand éclat de rire, et elle me dit: "Ah, celui-là, un sacré spécimen...   Mais... Pourquoi, m'en parlez-vous?"Je lui ai alors raconté mon histoire, et elle n'a pas paru du tout surprise!
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S
Bonjour, Je lis assez régulièrement vos textes, et celui-ci est excellent, vraiment ! J'ai failli avoir ce genre de problème, mais quand ma grande aile volante à<br /> atterri à quelques mètre de moi, le paysan, surpris, a dit : "Ah, mais<br /> vous le reposez en haut !". Il pensait que j'allais descendre lentement, jusqu'aux<br /> montons, plus bas, et par la force des choses, atterrir au milieu d'eux ;o). Mais je dois dire que les quelques fois ou je me suis fait jeter (Avec menace<br /> la dernière fois d'éteindre mon émetteur avec mon planeur en vol !), c'est par un modéliste... J’habite en Auvergne ;o) <br /> Sergueï
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B
<br /> Bonjour, et merci pour ce commentaire, auquel je vais en ajouter deux autres:<br /> <br /> Celui de mon propre fils me disant: "Mais t'as pas vu dès le début qu'il ne voulait pas te voir dans son herbage? Et toi<br /> de lui dire que tu trouvais ses vaches très calmes... Tu avais tout faux dès le départ! Non, il n'avait pas envie de te voir fouler ses terres!"<br /> Et puis cet autre commentaire d'une amie dont les parents sont agriculteurs: "Oh, ce type de comportement de la part d'un taiseux, qui ne<br /> veut pas... ou ne sait pas dire NON!!!... comme je le connais bien!"<br /> A propos de l'Auvergne que je retrouve toujours avec autant de plaisir, voir l'accueil particulièrement  "parfumé"  réservé  à<br /> un modéliste  de passage, et que m'avait rapporté  Dominique Bély. Il figure sur ce blog avec le titre: "Ah le fumier!" http://bernardino.over-blog.net/article-2781441.html<br /> <br /> <br />
B
Je viens de rencontrer un de mes lecteurs, qui m'a soufflé: "Mais ton agriculteur, n'a-t-il pas eu des ennuis avec des pratiquants de la montgolfière?" Judicieuse question! J'ai appris en effet  que ces grosses boules silencieuses peuvent déclencher une certaine panique chez les bovins à l'allumage du brûleur...
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D
Ouais, mais  on voit tellement de choses ces temps-ci…
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B
<br /> Mais à malin, malin et demi... voir l'épilogue que je viens d'ajouter!<br /> <br /> <br />