L’autorité
(texte rédigé le 18/11/2005)
Qui a dit que l’Autorité n’était pas de ce Monde ?
Surtout pas moi !
Même si parfois j’eus à en subir certains dérapages… Mais voyons plutôt.
Il est un personnage qui incarnait pour moi l’Autorité suprême, incontestée et incontestable. Il se nommait José-Bernardino Duarté. C’était mon grand-père maternel.
D’un simple regard, il savait se faire comprendre. Je ne l’ai que très rarement entendu lever la voix.
Mais quand il prenait la parole, tout naturellement, chacun écoutait le Sage, celui que ses collègues carriers de la Mayenne avaient d’ailleurs surnommé… le Philosophe !
Autre incarnation de l’Autorité : mon père.
A qui une fois je voulus faire partager mon ressentiment sur la justice, ou plutôt l’injustice !
Un jour de classe, j’avais été témoin d’un épisode au cours duquel le Maître m’avait semblé injuste : il avait puni un élève qui, à mes yeux, ne le méritait pas.
En fin de journée, le cœur gros, j’abordais mon père avec ces mots : « Dis, P’pa, l’maît’ d’école il… »
Je n’eus pas le temps de finir ma phrase que je me pris « un aller et retour » appuyé par cette sentence paternelle : « L’maît’ d’école, il a eu raison ! »
Je venais de me prendre deux « claques » la même journée ! Je me rengorgeai et me mis à maudire cette trop forte connivence qui existait entre mon instit et mes parents.
Un demi-siècle plus tard, cet épisode a de quoi faire sourire…
Puisque nous en sommes à parler « Education »… Mon père fit aussi acte d’autorité lorsqu’il m’inscrivit au Lycée de Château Gontier.
Je me revois assis dans le bureau enfumé du principal. Ce dernier examina mon carnet de notes, et il proposa : « Ce petit, mais il a de bons résultats, je vous conseille donc
de l’inscrire en Classique »
Il y avait à cette époque deux filières dès la sixième : les classiques réputés littéraires, et les modernes dont on disait qu’ils étaient davantage matheux.
Ce choix que je jugeai arbitraire me valut de tâter du latin, et de pouvoir me plonger -avec délices ?- dans les innombrables pages de l’épais dictionnaire Gafiot. Moi
qui n’ai jamais eu le tempérament d’un coureur de fonds, je me sentis quotidiennement pénalisé par un travail bien supérieur à celui de mes camarades « modernes ».
Mais, assis à côté de mon père dans le bureau du « patron » lors de mon inscription, je n’avais pas encore fini d’être surpris.
Car mon chef de famille asséna ce suprême plaidoyer : « On sort de la Guerre ! C’est d’accord ! Les Boches m’ont bousillé deux fois mon char d’assaut… Mais c’est pas
parce qu’on s’est tapé dessus qu’il faut continuer à se haïr. Mon fils fera… allemand première langue ! »
Ah bon ? Moi, qui avais eu la chance de baragouiner l’espagnol en compagnie de mes aïeux, j’aurais largement préféré prospérer dans la langue de Cervantes. Mais il n’y avait pas de prof
d’espagnol au Lycée de Chiot !!! On décida pour moi que je m’instruirai avec la langue de Goethe.
Dans le domaine de l’autorité non-familiale, il y avait bien évidemment les gendarmes, dont on voyait la paire de bicyclettes passer périodiquement dans le bourg de Chérancé. Et qui
s’arrêtaient au café Poché afin de se désaltérer, mais aussi prendre des nouvelles de la population, recueillir quelques infos… Les RG en quelque sorte…
Autre autorité un peu plus folklorique en la personne du garde champêtre de Villaines…
Je le revois descendre la rue du Bignon sur son vélo, s’arrêter toujours au même endroit et apostropher les gamins en ces termes :
« Où qu’y sont les meuchants ? »
C’était pour lui une sorte de jeu, relayé par nos parents qui utilisaient le bonhomme à la manière du Croquemitaine.
Le garde-champêtre saisissait son tambour avec lequel il ameutait la population, puis il déployait un papier avec un geste très cérémonieux, et quand il avait jugé que son auditoire était à
ses ordres, il procédait à la lecture :
« Avisseeee à la population ! »
Il annonçait les coupures d’eau ou d’électricité, le passage de la benne à ordures, le ramassage des ferrailles … Je crois me rappeler qu’il était aussi chargé des obsèques… avant
que chaque famille ne soit informée par un petit papier nécrologique que tirait l’imprimerie Panaget.
Notre brave garde-champêtre ponctuait toujours la lecture des arrêtés municipaux avec cette phrase devenue rituelle :
« Pour le Mairrrre, l’adjoint… milmarrrrtino »
S’il était spécialiste du roulement de tambour, il l’était également dans le roulement des « R ».
Cette conclusion me demeura un moment fort énigmatique. Il me fallut un certain temps pour décoder, et je finis par apprendre que le maire de Villaines, c’était Robert Buron*,
que ses « affaires » le retenaient à la capitale, et que son premier adjoint était chargé de le suppléer, premier adjoint qui se nommait en réalité Emile Martineau.
Son annonce terminée, notre représentant de l’Autorité municipale sanglait le tambour sur son vélo, apostrophait quelques gamins en les sommant de ne pas être « meuchants » jusqu’à son
prochain passage, et allait répéter son annonce quelques rues plus loin.
Joli temps où la « communication » se faisait de vive voix .
Et où l’Autorité semblait incontestée !
*Maire de Villaines la Juhel entre 1953 et 1970